Historiquement Shotokaï, pas plus que Shotokan d’ailleurs, n’étaient des styles de Karaté.
Si l’on se réfère à la période moderne du Karaté (depuis son introduction au Japon par FUNAKOSHI) il n’y avait qu’un style, celui pratiqué par FUNAKOSHI, et il n’avait pas de nom.
Shotokaï n’était que le nom de l’association créée par FUNAKOSHI et Shotokan le nom de son Dojo; Shoto étant le nom de plume de FUNAKOSHI.
A la disparition de ce dernier, le groupe de ses élèves se scinda en deux. D’un côté un groupe qui allait devenir le Shotokan et de l’autre l’association Shotokaï restée fidèle aux préceptes enseignés par le Maître. Un des points d’achoppement entre les deux groupes tournait autour de la compétition que FUNAKOSHI avait toujours refusée et que certains voulaient organiser.
Si donc Shotokaï était au départ le nom d’une association, on peut dire qu’il devint un style lorsque Maître EGAMI définit les grandes lignes de la nouvelle pratique. En effet, après de nombreux tests, il avait constaté l’inefficacité des attaques de Karaté.
Après des années de recherche, il trouva l’efficacité en réalisant des attaques avec relâchement. On peut dire que là se trouve l’élément fondateur du SHOTOKAI. C’est le relâchement et la détente, et non pas la contraction, qui génèrent la force. À partir de ce postulat, il proposa de nouvelles formes et une nouvelle façon de pratiquer.
Fidèle à Maître FUNAKOSHI, il maintint toujours le groupe Shotokaï en dehors du mouvement de Karaté sportif prédominant de nos jours. En revanche, son évolution spirituelle l’amena à mettre l’accent sur la recherche d’harmonie avec le partenaire. Maître EGAMIi écrivit: « Tout d’abord nous devons pratiquer le Karaté comme une technique de combat et puis nous arriverons, par expérience, à comprendre un certain état d’âme, à nous ouvrir à des horizons « Jita-ittai » (l’union de l’un et de l’autre) au-delà du combat. C’est un principe de coexistence qui permet de vivre ensemble en prospérité. »
Ceci étant dit le Shotokaï n’est pas un style uniforme comme peuvent l’être d’autres styles clairement codifiés. À ce sujet je me souviens encore de mon étonnement lors de mon premier voyage au Japon. Je m’attendais à découvrir le Shotokaï que nous pratiquions mais exécuté par des Japonais donc mieux que nous. En effet, nos seules références étaient le livre de Maître EGAMI et ce que nous enseignait Maître MURAKAMI, les deux étant très proches.
Quel ne fut pas mon désappointement en découvrant le style du Dojo central, très différent du nôtre, puis en découvrant un autre style toujours au Dojo central mais, le lendemain, avec un autre professeur. Pourquoi tous ne faisaient pas comme Maître EGAMI avait enseigné?
Le temps, la disparition de Maître MURAKAMI et l’expérience m’ont permis de comprendre pourquoi. Le fait est qu’il y a autant de Shotokaï que des professeurs. Ceux-ci peuvent être très proches s’ils ont la même référence ou plus éloignés si cette référence a disparu, comme c’était le cas au Japon et comme c’est maintenant le cas en Europe après la disparition de Maître MURAKAMI. Les méthodes de transmission qui prévalaient dans les écoles traditionnelles ne sont plus adaptées aux nouvelles structures ayant accompagné le formidable essor des arts martiaux. Tout cela pour dire qu’il n y a pas un style Shotokaï mais une multitude. Mon style m’est propre, même si je le partage avec plusieurs personnes. Il reflète mon évolution et ses limites.
Toutefois on devrait retrouver chez tous quelques constantes qui sont les bases du Shotokaï. En reprenant ce que j’ai nommé l’acte fondateur du Shotokaï, on a une sérieuse base de départ. Techniquement, le Shotokaï est la recherche de l’efficacité par la souplesse. On a donc ici la définition d’un but et du moyen à utiliser pour y parvenir.
Ensuite cette technique doit permettre aux élèves d’évoluer favorablement sur tous les plans, physique, psychique et spirituel. L’enseignant n’a donc qu’à trouver une technique et une pédagogie qui visent ces objectifs pour prétendre pratiquer Shotokaï.
Le Shotokaï s’est donc tout de suite démarqué des autres styles qui se sont lancés dans le Karaté compétition ou même dans le Karaté de combat dans lesquels on recherche la victoire sur un adversaire.
En Shotokaï ce que l’on recherche, c’est la victoire sur soi-même et l’harmonie avec les autres. Le Karaté sportif participe au gonflement de l’ego de ses champions, tandis que nous cherchons à réduire le notre pour avoir accès à la connaissance de notre véritable personnalité. Ces démarches sont à l’opposé l’une de l’autre.
Techniquement l’opposition est la même: là où l’un mettra le maximum de force, l’autre mettra le maximum de détente. Les déplacements au lieu d’être saccadés seront fluides. Et le tout à l’avenant.
Techniquement le Shotokaï est donc un style très original, certainement le plus fin des styles de Karaté ce qui en fait le style le plus adapté à une pratique féminine. Il ne conviendra pas à ceux qui recherchent une efficacité à court terme ou un Karaté sportif.
Il conviendra par contre à ceux qui recherchent dans les arts martiaux une voie de perfection personnelle et à ceux qui sont prêts à remettre perpétuellement en cause leur acquis pour aller toujours plus loin dans une recherche technique passionnante.
Patrick Herbert, directeur technique Shotokaï Europe